QUEL AVENIR POUR LES FESTIVALS INDÉPENDANTS FACE AUX DÉFIS DE L’ÉCO-RESPONSABILITÉ ET DE LA DURABILITÉ ?

Table ronde organisée dans le cadre du festival MaMA Music & Convention. 

Heure et lieu : Le jeudi 13 octobre de 14h15 à 15h30 – FGO Barbara, Panel Room 1, Paris.

Présentation : Les festivals, déjà fortement préoccupés par l’évolution rapide de leur environnement sectoriel et institutionnel, sont amenés à revoir leur modèle pour devenir plus durables et résilients. L’augmentation de la fréquence d’événements climatiques extrêmes et la dépendance des festivals aux énergies fossiles viennent s’ajouter à un contexte plus général déjà sous tension : dynamiques de concentrations économiques dans le secteur, baisse des financements publics et augmentation des contraintes réglementaires. Il est urgent de repenser le modèle des festivals afin de concilier les enjeux de la diversité artistique avec la crise climatique et environnementale.

Intervenant·es :

  • Valérie MARTIN, cheffe du service mobilisation citoyenne et médias à l’ADEME (Agence de la Transition Ecologique)
  • Jean PERRISSIN, responsable Développement Durable du festival Le Cabaret Vert
  • Stéphane KRASNIEWKI, vice-président du SMA et directeur du festival Les SUDS, à ARLES
  • Maxime MOLÉ, référent écologie au SMA

Modération : Jean-Paul DENIAUD, journaliste fondateur de Pioche! Magazine

Pour écouter le podcast de la table ronde

Synthèse des échanges

Introduction : quelques éléments de contexte (Jean-Paul DENIAUD)

 Depuis quelques années, nous assistons à une double révolution pour les acteurs de la culture, notamment les festivals :

1. Une injonction à être à la fois un moteur de la transition écologique et à la fois capable de bouleverser des habitudes et des corps de métiers.

2. Un contexte économique de plus en plus difficile pour les festivals indépendants (hausse des coûts, concurrence accrue, phénomènes climatiques).

Si les festivals indépendants sont essentiels pour la diversité artistique, comment leurs équipes peuvent-elles tenir ce rôle d’acteurs engagés, d’exemples d’éco-responsabilité, alors qu’elles luttent souvent déjà pour leur propre survie ?

I – Les acteurs festivaliers face aux crises, conscients de la nécessité de mutations sectorielles

A. Deux axes de réflexions partagés par les festivals adhérents au SMA

 

Depuis 3 ans au sein du SMA et depuis parfois bien plus longtemps, les adhérents prennent position en faveur de la soutenabilité de la culture. En ce sens, des formations collectives ont été organisées pour les adhérents, notamment une avec le Shift Project, en collaboration avec la FEDELIMA.

1. Anticipation : réduire les impacts carbones et environnementaux de manière consciente et non subie.

2. Propositions de solutions pour s’adapter au réchauffement climatique et permettre aux structures de maintenir leurs événements.

B. Degré de conscience des acteurs de la filière sur les questions de soutenabilité

 

Le secteur fait face à une nécessité d’anticipation concernant les points suivants :

– Les phénomènes météorologiques (1 festival par semaine y a fait face sur l’été 2022).

– La production de norme, avant de se la faire imposer.

– La mise en place d’actions et d’une gouvernance réellement éco-responsables, au delà des toilettes sèches et des écocups, en vue produire des manifestations plus durables, aux impacts maîtrisés.

 

→ Première conséquence économique et structurelle : la hausse des assurances annulations. En effet, plus le risque est certain, plus on peine à s’assurer. Le prix des primes d’assurance tend donc vers une forte hausse.

C. De la dégradation économique des festivals

 

Les acteurs de la filière musicale et plus particulièrement les festivals indépendants traversent de multiples bouleversements, alors même qu’ils sont déjà fragilisés par des crises successives. Deux changements majeurs sont soulevés :

– une injonction à trouver des financements pour compenser la hausse des coûts.

– une augmentation des jauges, afin de ne pas faire grimper le prix du billet unitaire ni faire de compromis sur d’autres engagements, artistiques, environnementaux.

 

L’impact environnemental des festivals est majoritairement lié au déplacement des publics, par conséquent les jauges devraient décroître afin de respecter les limites planétaires et les accords de Paris. En matière de transports, par exemple, la gratuité du parking pour voitures pose question. En effet, cela n’incite pas les festivaliers à utiliser les mobilités douces ou les transports en commun.

Par ailleurs, les festivals attirent l’attention sur la nécessité de rapprochement entre leurs organisations et les acteurs des mobilités douces comme la SNCF, avec laquelle un travail conjoint doit être instauré . Or, c’est une démarche de coopération chronophage car inédite sur des actions transversales.

II – Projeter des imaginaires et de repenser notre relation au monde : le rôle des festivals indépendants en 2023

A. Des évolution de plus long terme : quelles mesures prises depuis 2005 en faveur de l’environnement ? (Cabaret Vert)
                             

 

« On est là pour embarquer les gens, produire un récit alternatif : pas de Coca Cola, pas d’Heineken, pas de Kronembourg chez nous, mais seulement des produits artisanaux. C’est un vrai défi de nourrir 125 000 festivaliers dans ces conditions, mais on y arrive. Notre rôle est de sensibiliser les gens, sur quelques jours, et d’avoir éventuellement sur eux un impact pouvant aller jusqu’au changement durable de comportement. » – Jean Perrissin

 

B. « L’Âge des Limites »

Le Cabaret Vert

– Les contradictions induites par la croissance des jauges — alors que la principale source d’émissions de CO2 est le déplacement des publics — sont assumées par les équipes du festivals. Si elles sont source de débats en interne, « où chacun a son propre degré d’engagement, à l’image de la société », ces questions donnent lieu à des décisions concertées.

– Il est important de trouver du temps pour partager un socle commun de connaissances avec les responsables/admin/bénévoles, pour lesquels des formations sont organisées, notamment des fresques du climat. Ce sont des sujets techniques, qui nécessitent de prendre le temps de se les approprier.

– Un apport de financement privé est nécessaire (modèle à 80% de ressources propres), mais il est à l’origine de tensions entre la cellule chargée du développement durable et celle chargée des partenariats. Des arbitrages sont alors à réaliser, et c’est à cet endroit que la gouvernance joue un rôle majeur en matière d’environnement.

 

« Malgré un budget à 9,5M€, notre exercice reste précaire et on se questionne sur l’accroissement des jauges. On arrive sur l’âge des limites : avant on appuyait sur un bouton et on avait de l’électricité et de l’essence, ce n’est plus le cas partout ni tout le temps et c’est un choc énorme. » – Jean Perrissin

 

Les Suds, à Arles

– Le rôle prescripteur des festivals est fondamental. On exige d’eux aussi qu’ils montrent l’exemple et soient exemplaires.

– Les modèles des festivals sont divers et incomparables. Par exemple, Les Suds ne peuvent pas être comparé au Cabaret Vert qui se tient dans un seul espace et non pas plusieurs sites différents. Aux Suds, ce sont les restaurants et bars de la ville qui servent de points de restauration aux festivaliers. Il faut alors s’inscrire dans une réflexion sur un changement de mentalité à l’échelle de la ville, y compris au niveau touristique, en matière de production locale, de circuits courts.

– Paradoxe : étant un festival de musiques du monde, Les Suds fait voyager des artistes à travers le monde sous couvert de diversité culturelle, non sans un important impact environnemental. Il faut entrer dans des logiques de mutualisation de programmation, et de production de tournées cohérentes en bonne intelligence.

– En vue d’une décroissance nécessaire, il y a des possibilités de flécher davantage la communication sur les publics locaux. En effet, les déplacements des publics représentent 80% des émissions de CO2 d’un festival. Le modèle du festival qui grandit sans cesse alimente lui-même la logique d’augmentation des coûts[1].

C. L’ADEME, qu’est-ce que c’est ? Quel est son rôle ?

 

L’ADEME est l’agence d’Etat de la transition écologique.

Elle placée sous la triple tutelle :

– du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires,

– du Ministère de la Transition énergétique,

– du Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

En matière d’emploi, cela représente environ 1000 personnes sur le territoire. Son objectif est d’accompagner les transitions en mettant une expertise au service des citoyens, des collectivités et de l’Etat pour faire advenir un monde plus sobre, plus juste, plus en phase avec les limites planétaires.

L’ADEME met en place des guides,des formations, et des aides financières pour décarboner des activités, ainsi que des ressources et études accessibles en ligne[2] qui permettent de donner un cadre commun de références et d’enjeux, pouvant servir de base de discussion avec les acteurs territoriaux. Cela passe par une formation des équipes, mais également par le marketing et la publicité. L’ADEME accompagne en priorité les structures innovantes en matière d’écologie sur le lancement de leurs projets.

« Nous avons les moyens d’initier des choses, notamment via des dispositifs comme France 2030, qui est un signal intéressant. Des aides sont également distribuées au niveau des collectivités, de manière à ancrer les événements dans le territoire et co-construire quelque chose de vital pour les territoires et avec eux. L’agence est régulièrement en discussion avec le CNM, qui met le sujet au cœur de la filière, comme le fait le SMA. » – Valérie Martin

D. Récits : un changement nécessaire de paradigme

 

Le récit communément intégré est actuellement celui de la surconsommation : Extraction, Production, Consommation, Déchets, dont la croissance en volume est le fondement même. À l’inverse, on observe parfois un récit quasi catastrophiste de survivalisme. Le rôle de l’ADEME est de produire un récit de la sobriété désirable.

Qui dit sobriété dit renoncement, et cette question du renoncement doit animer les organisateurs de festivals aux valeurs exemplaires. La question de l’écoresponsabilité des festivals nécessite de remettre en question la réalité du besoin de chaque nouveauté technologique ou sociale.

« Beaucoup de festivals veulent « faire du vert » mais les acteurs ne sont pas spécialement au fait des enjeux. » [3] – Valérie Martin

E. Un appétit des collectivités et des spectateurs pour les grands événements

 

– Du fait de la réplication de festivals par des structures aux fins lucratives, qui privilégient les enjeux de rentabilité aux enjeux sociétaux et environnementaux, ce sont les modèles de festivals croissants et capitalistes qui font rêver nos collectivités et leurs présidents en matière d’attractivité et de rayonnement des territoires. Il est donc nécessaire de sensibiliser les élus et collectivités aux valeurs fortes incarnées par les festivals indépendants en matière de sobriété énergétique et de réponse aux enjeux sociétaux contemporains.

Exemple : en Mayenne, alors que les financements publics du festival Au Foin De La Rue sont en berne, un autre festival a été créé ex nihilo et devrait accueillir 100 000 personnes pour sa première édition. L’événement en question est financé par les crédits culturels et communication de la région et d’autres collectivités. Ce festival n’est pas ancré sur le territoire, dans la mesure où son action est circonscrite sur quelques jours, et ne s’étale pas sur toute l’année avec des acteurs du territoire, en comparaison avec des structures implantées et qui ont un enjeu territorial de dynamisation.

 

« Sur la durabilité, il y a un enjeu, avant le conditionnement des aides par les collectivités, dans leurs pratiques. Il y a des choses à interroger sur la traçabilité de l’argent, sans quoi le Green Washing prendra le pas sur ce qui se fait localement sur les territoires. » – Lisa Bélangeon

 

– Les équipes des festivals indépendants font le constat de la croissance du nombre de concerts organisés annuellement dans les stades, donc d’un appétit certain des publics pour ce type d’événements. En effet, lorsque les festivaliers sont interrogés[4] sur les changements à mettre en place en vue de la décarbonation du festival — autrement dit ce à quoi ils sont prêts à renoncer dans leur expérience festivalière — la réduction des jauges et du nombre d’artistes internationaux arrivent en dernière position. Une hypothèse expliquant se phénomène est celle d’une conséquence de la concentration : les concerts dans les stades et certains « gros » festivals sont produits par des grands groupes industriels également propriétaires de médias — et de toute la chaîne de création de la valeur — leur permettant de contrôler la communication à destination des publics pour mettre en avant leurs événements. Il est en tout cas nécessaire selon Valérie Martin de « rationnaliser sans rationner : les gens sont confrontés à des questions de pouvoir d’achat, de sécurité, et ont envie d’avoir plus de proximité. Si on supprime les petits événements, on supprime le lien avec l’autre, et on devient 1 parmi 400 000 ».

 

III – Imaginer collectivement un avenir pérenne pour les festivals indépendants

 

Les intervenants ont insisté sur l’ importance de sensibiliser les publics à la dissonance entre les valeurs promues par les événements et leur manière de fonctionner au moyen d’une communication juste et transparente sur les objectifs environnementaux des festivals, sans greenwashing.

 

« Si on se dit festival éco-conçus, mais que le contenu même n’est pas cohérent, les publics s’en rendent compte. Finalement, la question qui se pose est la suivante : « Quel rôle, moi au festival, je veux jouer, pour accompagner la société dans sa transformation ? La culture est capable de faire passer des émotions, au delà des chiffres. Si nous étions seulement des êtres rationnels, tout le monde aurait déjà changé de comportement. Le rôle des festivals est déterminant sur ce point. Il faut donc être cohérent, communiquer à la juste valeur des choses. » – Valérie Martin

 

A. (Re)construire un modèle durable

 

– Certains artistes refusent désormais des déplacement pour des raisons de sobriété. La question de la conscience écologique prend de plus en plus de place dans les esprits.

– Sur la question du localisme et de l’ancrage territorial, le CRDD (Centre Ressource du Développement Durable) accompagne des territoires à leur mise en récit[5].

– Un festival ancré fait vraiment partie d’un Projet Culturel de Territoire[6] et se demande comment s’ancrer dans des problématiques du territoire de manière forte, en tant qu’acteur culturel.

 

« On ne s’en sortira pas sans co-construire le modèle de demain, et pas dans une logique nombriliste de croissance infinie. On ne peut ainsi atteindre nos objectifs de neutralité carbone pour 2050[7]. Qu’est ce que les festivaliers, en tant que citoyens et acteurs économiques, veulent/peuvent faire pour co-construire un modèle de vivre ensemble durable ? » – Valérie Martin

 

Les initiatives auxquelles le SMA prend part

– Association de la FEDELIMA et du SMA sur le projet Déclic[8] : Décarbonons le Live Collectivement.

– Projet STARTER, lancé sous l’impulsion du réseau R2D2, réunit 18 partenaires dont le SMA, qui s’engagent à « mutualiser les moyens et ressources afin d’outiller, inciter et accompagner leurs membres respectifs » dans une démarche éco-responsable[9].

B. Questions, difficultés, réponses, cas spécifiques

Quelques outils

– Le Ministère de la Culture a sorti en 2022 une charte de développement durable insistant notamment sur la nécessité de privilégier des transports doux. Cela s’entend en milieu urbain, mais c’est bien plus compliqué en milieu rural. Il faut ainsi pondérer les critères en matière d’aides publiques, et communiquer de manière cohérente pour les festivals.

 

« Il y a cette question de la transparence et de l’honneteté intellectuelle : si on fait du Greenwashing, ça va se savoir, en revanche, si on se dit qu’on réduit de 10%/an le plastique à usage unique, c’est modeste mais ça avance. » – Stéphane Krasniewski, vice-président du SMA et directeur du festival Les Suds, à Arles.

 

– L’ADEME met en place un outil d’auto-diagnostic pour les petits festivals, une checklist qui permet de se poser les bonnes questions, permettant de sélectionner ses priorités. La norme ISO 2021 permet également la certification du management environnemental de l’équipe organisatrice d’un événement.

– Dans chacune des régions de France, des collectifs de festivals sont présents et sont des acteur.ices territoriaux.alles ressources.

Des difficultés qui persistent

En matière de dialogue avec les collectivités : l’exemple du festival Au Foin De La Rue

– Le festival se tient en milieu rural, dans un village de 1500 habitants, à 40km de la gare la plus proche. Il accueille 15 000 festivaliers sur 2 jours.

– Au vu de sa situation géographique, le festival propose des transports en communs entre les gares environnantes et le site du festival. Jusqu’à 2019, la région Pays de la Loire mettait en place des navettes. Depuis 2022, le festival a du mettre en place ses propres navettes, à ses frais, en raison non d’un manque de budget de la part de la collectivité, mais d’une difficulté d’arbitrage « sur qui doit payer », entre la commission culture de la région et celle des transports.

– Les festivals indépendants sont généralement pionniers dans le rayonnement des territoires, des événements militants, associatifs dont les équipes ont à cœur « toutes ces problématiques » dans leur façon de concevoir les événements, à l’inverse de grands groupes récupérant en apparence les valeurs des festivals à des fins lucratives.

Conclusion

Les publics et les collectivités rêvent grand, et sont encore à sensibiliser en matière de sobriété. Cela pose notamment la question de la formation des élus sur les questions environnementales et de décarbonation des activités.

 

« On a l’exemple de Tommorowland Winter en Région Auvergne Rhône-Alpes : un festival étranger qui s’implante sur une station de ski en haute montagne appartenant majoritairement à des sociétés étrangères, qui bénéficie d’une part importante des financements de la région en faveur des festivals (400 000€, soit 2% du budget du festival de 25M€ en 2022) alors que l’ensemble du secteur indépendant est en demande dans la Région. Cela pose 2 questions :

1. Un souci démocratique : pour qui on vote et 2. la formation de nos élus. » – Jean Paul Deniaud

Une fois cette prise de conscience effectuée, une importance doit être accordée à la cohérence des actions de décarbonation : les élu.es et acteur.ices doivent être accompagnés et outillés en ce sens.

« Quand on décarbone, c’est l’ensemble des activités. Et cette question on la met sous l’angle de la communication, l’idée étant de voir comment on mobilise. » – Valérie Martin

 

Ressources

Tsugi. (2022, 28 décembre). Quel futur pour les festivals ?