Une exception culturelle française en danger ?

Lancée par plus de 100 festivals indépendants en 2022, la campagne Vous n’êtes pas là par hasard a pour objectifs d’informer sur la situation des musiques actuelles, d’objectiver le contexte et de faire la transparence pour que chaque personne – citoyen·ne, public, artiste, élu·e, partenaire – puisse se faire sa propre opinion et opérer ses choix en toute connaissance de cause, parce que la culture n’est pas une marchandise comme une autre.

Pour préserver la diversité dans l’écosystème des festivals, lutter contre l’uniformisation des évènements et soutenir un modèle garant de l’exception culturelle française, de la cohésion sociale, de l’intérêt général, de l’ancrage territorial, nous demandons :

→ La mise en place d’une veille régulière et active pour surveiller, analyser, documenter les phénomènes de concentration et leurs conséquences, à l’échelle nationale et européenne. Celle-ci pourrait être confiée à un Observatoire Européen de la Musique qui s’appuierait sur les études du CNM parallèlement à un suivi récurrent par l’Autorité de la concurrence ;

→ La discussion d’une loi garantissant l’indépendance des entreprises culturelles (médias, édition de livres, musique) en écho à la proposition de loi n°327 visant à mettre fin à la concentration dans les médias et l’industrie culturelle ;

→ L’encouragement des initiatives d’intérêt général dans toute leur diversité et donc leur bonification par l’octroi d’aides publiques ;

→ Un encadrement des aides publiques à destination des festivals portés par les groupes, ceux-ci ayant vocation à exister sans le soutien de la puissance publique et donc du contribuable, que ce soit par le Gouvernement ou les collectivités territoriales ;

→ L’ouverture et/ou l’élargissement des espaces de dialogue et de concertation avec nos partenaires pour élaborer ensemble des mesures permettant d’envisager sereinement l’avenir des festivals.

2 • Les festivals indépendants participent fortement à la démocratisation culturelle et à l’accessibilité.

L’unique objectif de gains financiers qui motive certains projets ne prend en aucun cas en compte la démocratisation culturelle ou l’accessibilité des publics, au détriment de prix de billets abordables. Les festivals indépendants accordent une forte importance à la mise en place d’actions culturelles tout au long de l’année afin de créer du lien avec les citoyen·es, les bénévoles, les voisin·es, les fournisseurs locaux, etc. Les histoires de ces festivals sont intrinsèquement liées à celles des territoires et de leurs habitant·es. À noter également, l’apparition de pratiques étrangères qui amènent à une différenciation entre publics et ne favorisent aucunement l’accessibilité et la mixité.

4 • Les phénomènes de concentration opérés par les grands groupes industriels et capitalistiques sont toujours en cours.

Ces groupes – à but lucratif et exogènes au secteur – sont actifs dans le secteur des festivals, et plus généralement dans la filière des musiques actuelles, à l’échelle nationale mais également internationales. Ils bouleversent les équilibres en place et déstabilisent les initiatives indépendantes

5 • La détention de solutions de billetteries par ces mêmes acteurs est un enjeu majeur.

Plusieurs groupes disposent en effet de leur propre solution de billetterie et ont donc la main sur les données collectées qui leur permettent d’affiner leurs stratégies et d’ajuster leurs programmations afin de concentrer davantage les publics et les capitaux. De plus, la possession de médias par ces groupes permet une mise en avant privilégiée de leurs propres festivals

7 • L’événementialisation et la surenchère ont un fort impact environnemental.

Les nouvelles formes de spectacles qui s’approchent sans cesse davantage du divertissement ne mettent pas au cœur du projet la relation intime entre les personnes et les artistes. L’objectif est d’être spectaculaire, peu importe les conditions de production du concert. Cette surenchère technique et énergétique des grands shows augmente sans cesse l’impact environnemental de ces événements. Les festivals continuent donc de croître en matière de jauge, se lançant dans une course aux chiffres, en dépit de l’impact environnemental des déplacements de publics, et alimentant la tendance haussière des cachets artistiques des artistes internationaux.

1 • Les projets des festivals indépendants sont portés par un engagement et des valeurs fortes.

Véritables projets culturels de territoires, ils participent activement à l’émergence de nouveaux artistes, au renforcement du lien social et de la cohésion avec un réseau actif de bénévoles et de prestataires locaux, à la création d’emplois, à la dynamique d’actions artistiques et culturelles toute l’année… Ils travaillent sur la réduction de leur impact environnemental, l’égalité et l’inclusion, l’ouverture sur le monde, l’accessibilité. À l’inverse, les propriétaires ou actionnaires majoritaires de certains groupes sont parfois investis dans des initiatives dont les valeurs sont à l’opposé de celles d’ouverture et de partage que les festivals indépendants défendent. La motivation de ces « nouveaux » acteurs doit donc nous questionner collectivement.

3 • La pérennité des festivals indépendants est en danger.

Les festivals indépendants n’ont pas d’actionnaires à rémunérer et leurs modèles économiques reposent sur la non-lucrativité. Or, le contexte actuel d’inflation touche à la fois les publics mais aussi les structures qui voient la totalité de leurs dépenses augmenter (énergie, prestataires, masse salariale, sécurité, cachets des artistes etc.). La priorité des festivals engagés dans la campagne est de ne pas répercuter ces hausses sur les prix des billets afin de rester des événements accessibles. Effectivement, l’indépendance a un prix, celui de ne pas bénéficier de la puissance d’un groupe aux capacités financières importantes permises notamment par des grandes jauges, la maîtrise d’un marché en 360, des stratégies d’exclusivités. Un ensemble de pratiques qui participent entre autres à l’alimentation d’une bulle spéculative au niveau de l’augmentation des cachets artistiques.

6 • Les stratégies des groupes alimentent les pratiques de marketing territorial.

La tendance à recourir à ce type de stratégies, souvent financées in fine par le contribuable, séduit de plus en plus de collectivités. Elle se traduit par exemple par la réplication de festivals à l’image forte, la duplication d’affiches et de programmations, la mise en concurrence des territoires entre eux au risque de réduire l’expression de la diversité culturelle. Cette volonté de faire exister son nom sur la carte de France se répercute sur les entreprises indépendantes implantées sur le territoire

Et dans les autres secteurs culturels ?

Les secteurs de l’édition de livres, des médias ou encore de la musique enregistrée sont eux-aussi traversés par ces problématiques de rachats et de concentration, de manière nettement plus avancée que le secteur des concerts de musiques actuelles. Ce sont d’ailleurs en partie les mêmes groupes qui y opèrent, mettant à mal la diversité et la pérennité des entreprises indépendantes de ces secteurs. Le danger y est aussi idéologique dans la mesure ou certains des actionnaires aux positions politiques parfois extrêmes profitent de leur position dominante pour influer sur les lignes éditoriales de leurs entreprises allant jusqu’à pratiquer une forme de censure, plusieurs cas ayant déjà été relevés par l’ARCOM. Comme un parallèle avec les dynamiques en cours dans les secteurs de l’agro-alimentaire ou du cinéma, l’objectif est que les initiatives dans toute leur diversité puissent continuer d’exister et ne se fassent pas les unes au détriment des autres, mais de manière complémentaire.

Au niveau des financements publics, les subventions des villes dédiées aux festivals sont en moyenne de 59 000 euros, soit -29% par rapport à 2015. Du côté des agglomérations, c’est une baisse de 34% qui est enregistrée (moyenne 2022 à hauteur de 20 000 euros). Les aides des départements et des régions suivent la même tendance avec des moyennes respectivement à 23 000 et 41 000 euros, représentant des baisses de 28% et 19% par rapport à 2015.

On observe donc une diminution globale des subventions publiques en faveur des festivals. Seul le soutien des DRAC s’est affirmé avec une augmentation de 135% au cours des 7 dernières années, qui s’explique notamment par la mise en place du plan Festivals de l’État, qui ne permet toutefois pas de compenser les autres baisses et dont la pérennité n’est pas assurée par ailleurs au-delà de 2024.

Du côté des autres dispositifs d’aides, les subventions de la Sacem ont quant à elles diminué de 37%. 

59% des membres bénéficient par ailleurs d’aides octroyées par le CNM à hauteur de 35 800 euros en moyenne en 2022. Cela est conséquent, toutefois cette année a été exceptionnelle pour le CNM qui disposait d’une importante enveloppe budgétaire pour soutenir la reprise d’activité compte tenu de la lente sortie de crise sanitaire. L’établissement dispose en effet d’un budget moins conséquent pour 2023 et le doute plane pour les années à venir, dans l’attente des préconisations rendues par la mission Bargeton, ce qui aura nécessairement un impact sur les aides distribuées aux structures du secteur. Face à ces baisses, les festivals se tournent d’autant plus vers le mécénat et le sponsoring, avec une augmentation de 72% des financements privés entre 2015 et 2022 (moyenne : 110 500 euros).

Le budget artistique des festivals a été quasiment multiplié par deux entre 2015 et 2022 (+95%).

Les frais de sécurité privée ont également augmenté de 26%, atteignant en moyenne 48 500 euros. Cela est d’autant plus préoccupant que la « circulaire Collomb » représente toujours une menace et qu’elle pourrait constituer une augmentation supplémentaire des coûts dédiés à la sécurité.

Par ailleurs, à cause des risques grandissants (météorologiques, sanitaires, attentat, etc.), les organisateur·rices sont contraints de souscrire des assurances annulation alors même que leurs montants augmentent fortement, passant de 14 600 euros en moyenne à 22 800 euros, soit +56% entre 2019 et 2022.

Globalement, les festivals prévoient de fortes augmentations tarifaires (entre 15 et 20%) sur tous les postes, qu’il s’agisse de la technique, de la logistique, de l’approvisionnement, etc.

Enfin, la législation sonore induit des coûts supplémentaires à assumer, qui viennent alourdir la liste.

À l’échelle européenne, selon The European Festival Survey 2022, 90% des festivals considèrent que l’augmentation des coûts de production est un problème majeur et quecela risque à la fois d’affecter les bénéfices et d’aboutir à augmenter le prix des billets. La hausse des cachets des artistes est une source d’inquiétude pour 63% des festivalsqui considèrent ce sujet comme un défi majeur.

→ Si 28% des festivals accueillent à hauteur de 22% de la fréquentation globale des personnes venues de toute la France, la totalité de ces évènements accueillent très majoritairement des publics locaux (- de 100kms / 1 heure de trajet) mais aussi régionaux (100 à 200kms / 1 à 2 heures de trajet).

97% des festivals accordent une importance particulière à l’émergence, accueillant en moyenne 42% d’artistes en découverte

→ Les enjeux écologiques sont au centre des préoccupations des organisateur·rices d’évènements :
Plus des 3/4 des festivals adhérents ont au moins un·e référent·e écologie au sein de leur équipe. Cet engagement se retrouve dans la restauration, avec une part d’offre végétarienne représentant en moyenne 44% de l’offre de restauration (allant même jusqu’à 100% pour l’un d’entre eux), et une part de productions locales en circuit court (moins de 80kms) à hauteur de 69%.

→ Les festivals membres du SMA ont également à cœur d’aller vers plus d’égalité et de lutter contre les violences sexistes et sexuelles :
97% d’entre eux ont mis en place des dispositifs tels que des campagnes de communication, des formations (des dirigeant·es mais aussi plus globalement des équipes, des bénévoles ou encore, plus marginalement, des équipes de sécurité), des stands de prévention, des applications de signalement, etc.

La crise Covid a fortement fragilisé la filière du spectacle vivant dans son ensemble. Les festivals adhérents du SMA n’échappent pas à la règle : 84% d’entre eux ont vu leur édition 2020 annulée, et 12.5% en jauge réduite. En 2021, seulement 22,5% ont pu proposer une édition dans sa configuration habituelle.

L’année 2022 ne représente pas encore un retour à la normale en termes de fréquentation, en comparaison avec l’avant crise sanitaire.

On observe en effet chez 38% des festivals membres une baisse de fréquentation de 25% en moyenne entre les éditions 2019 et 2022, variant de 18% à 50%

Ces écarts s’expliquent d’une part par les effets durables de la crise sanitaire sur les habitudes culturelles des Français·es. D’autre part, selon l’étude sur la diffusion des spectacles de musiques actuelles et de variétés en France du Centre national de la musique publiée en 2022, les festivals enregistrent une baisse de 18% des recettes de billetterie entre 2019 et 2022, tandis que le Top 50 des festivals présente à l’inverse un écart positif.

Ces données sont issues :
— des réponses des festivals membres à un questionnaire transmis en février 2023 portant sur l’édition 2022 principalement ;
— d’une précédente étude basée sur des chiffres 2015 et 2018, dont les conclusions ont été publiées en avril 2019 dans un document intitulé Festivals, indépendance et diversité, permettant ainsi de voir les évolutions entre 2015, 2018 et 2022.