Les festivals qui prennent part à la campagne sont aujourd’hui fortement préoccupés par l’évolution très rapide de leur environnement sectoriel et institutionnel : accélération extrêmement inquiétante de la concentration économique, concurrence accrue et déséquilibrée, inflation des coûts de cession et difficulté d’accès à certaines catégories d’artistes, baisse des financements publics, apparition de nouvelles normes et règlementations difficiles voire impossibles à assumer (sécurité, niveaux sonores), fragilisation des structures à la suite de la crise sanitaire…

Une première étape de décryptage et du contexte à travers l’étude « Festivals, indépendance et diversité » a été présentée à l’occasion du Printemps de Bourges en 2019. Elle a permis de relever plusieurs dynamiques en cours qui rendent ces alternatives aux rassemblements guidés essentiellement par des logiques de profit de plus en plus difficiles à faire vivre actuellement sur les territoires.

1. UNE CONCENTRATION ÉCONOMIQUE ET UNE CONCURRENCE ACCRUE

  • Fort développement des festivals musicaux depuis la fin des années 1980 > entre 2010 et 2017, le poids des festivals dans l’ensemble de la diffusion de musiques actuelles est passé de 11 à 15 % en termes de nombre de représentations, de 20 à 25 % en termes de fréquentation et de 15 à 21 % en termes de billetterie* [*source : CNV]
  • Aiguisant l’appétit de grands groupes privés, français comme internationaux, extérieurs au secteur
  • Des festivals au cœur de mouvements de concentration économique très importants: rachats, alliances, prises de participation, “franchises”, duplication d’évènements, intégration verticale des activités (billetterie, production d’artistes, diffusion, etc.)
  • Dans un contexte de concurrence désormais internationale, où les spécificités françaises en matière de politique culturelle sont fragilisées par des traités internationaux (CETA, JEFTA, futur TAFTA) au fort potentiel dérégulateur.

2. DES CONTRAINTES EN MATIÈRE DE PROGRAMMATION

Ce contexte de concurrence accrue et déséquilibrée engendre :

  • Des stratégies d’exclusivité et de “circuit fermé” pour les acteurs dominants détenant à la fois des catalogues d’artistes et des festivals,
  • Une inflation des dépenses artistiques sur les “têtes d’affiche” > 45% d’augmentation des budgets artistiques entre 2015 et 2018 pour les festivals adhérents du SMA.

3. DES FINANCEMENTS PUBLICS EN BERNE

  • Un État qui s’est désengagé de nombreux festivals et qui ne semble pas encore avoir pris la pleine mesure de la situation, malgré la nomination d’unréférent festivals au printemps 2018. En 10 ans, l’État a réduit de moitié le nombre de festivals subventionnés – 170 festivals en 2015 contre 342 en 2004*.Pour les festivals adhérents du SMA, la part de l’État représente moins de 1,5% du budget global.
  • Les contraintes financières des collectivités territoriales amènent certaines d’entre elles à faire des choix, à rationaliser, à privilégier une finalité de marketing territorial, le plus souvent au détriment des projets plus modestes ou spécifiques.En ce qui concerne les festivals du SMA, entre 2015 et 2018, on observe 13% de baisse des subventions de la Ville, 17 % des agglomérations, 19 % des départements, 7% des Régions.
  • Des projets impactés également par l’arrêt de certains dispositifs d’aide à l’emploi.
  • Des baisses de financements que certains festivals tentent de compenser en partie avec la sollicitation de fonds privés [+59% en moyenne entre 2015 et 2018 pour les adhérents SMA] ; une option toutefois difficilement soutenable à moyen terme — qui plus est avec les menaces pesant sur le mécénat — et qui est par ailleurs très utopique pour les évènements de taille modeste.

[*source : commission culture du Sénat]

4. DE NOUVELLES OBLIGATIONS LÉGALES ET RÉGLEMENTAIRES TRÈS DIFFICILES À ASSUMER

  • Un contexte sécuritaire important depuis les attentats de 2015,
  • Aggravé en 2018 par la “circulaire Collomb” visant à facturer les organisateurs d’événements culturels (essentiellement musiques actuelles) des frais de police et de gendarmerie, jusqu’ici assurés par l’État, et qui font pourtant l’objet d’une mission régalienne,
  • Engendrant des surcoûts très importants > 19 % d’augmentation des coûts de sécurité privée entre 2015 et 2018 pour les adhérents SMA, sans compter donc les facturations liées à la “circulaire Collomb” qui vont surtout affecter les festivals en 2019
  • Une nouvelle législation sur les risques sonores inapplicable, dangereuse pour certaines esthétiques musicales et techniquement irréaliste, particulièrement pour les évènements en plein air.

Les conséquences et les risques sont majeurs pour les festivals et l’écosystème des musiques actuelles.

Evolution des six plus importants opérateurs privés dans la chaîne de valeur des musiques actuelles
entre mai 2020 et janvier 2022 :

Pour aller plus loin…

Article de Matthieu Barreira dans le n°11 de la revue NECTART : Les musiques actuelles peuvent-elles échapper à la dépendance des grands groupes privés ?
Depuis la fin des années 2000, le champ des musiques actuelles français est investi par une poignée de milliardaires, détenteurs de grands groupes privés industriels. Internationaux, comme Lagardère, Vivendi, Live Nation, AEG Live, ou purement français, comme Fimalac et LNEI, ils convoitent l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur : gestion et exploitation de salles, d’artistes, édition, billetterie, production de festivals, spectacles, produits dérivés, communication, médias… Un phénomène en accélération, qui engendre des situations de concentrations à effets multiples : concurrence accrue, risques présumés pour l’indépendance, la diversité artistique et économique, la promotion de l’émergence, la bonne santé du secteur, l’intérêt général. Dans une filière en pleine difficulté, ils peuvent également représenter des opportunités d’investissements, de réseaux, d’actions pour défendre et promouvoir cette même diversité…